l'art tubabu
L’art tubabu.
Critique de l’art contemporain africain.
L’Afrique est le berceau de l’humanité ; c’est le monde. Au cours des derniers siècles elle a été soumise à un grand nombre d’influences souvent trop lourdes à supporter. En un temps rapide des confrontations diverses ont été imposées aux populations ; et des changements profonds sont apparus dans la culture, les mœurs, les mentalités.
Un des problèmes majeurs imposés aux peuples d’Afrique post-coloniale est de trouver la manière de la modernisation tout en évitant ses effets pervers. La modernisation est une expérience ambivalente : elle est le progrès parce qu’elle libère de l’archaïsme du passé, mais elle peut provoquer la confusion et les perversion de la société industrielle de consommation, et le désespoir spirituel subséquent.
La notion d’identité n’est pas incompatible avec la contemporanéité et l’universalité. Chaque personne examine sa propre société, et expérimente sa propre culture sans risque de compromettre ou de dévaloriser leur contemporanéité et leur accessibilité au label mondial. Le modèle universel ne recouvre pas les seuls points de vues et les seules valeurs occidentales. L’universel n’est pas seulement ce que les médias des pays dominants impose au reste du monde.
I- L’art tubabu :
Comme partout en Afrique, c’est l’art tubabu (en bamanan toubab) qui tente de tromper les vigilances, et cherche à vaincre. L’art toubab, celui que les occidentaux venus en Afrique ont suscité, n’est pas réellement l’art des pays occidentaux, ni véritablement l’art africain. C’est plutôt l’émergence d’un ensemble de facteurs adverses, appelé “ paradigme culturel ”, qui tendent à semer la discorde par la manipulation et l’extraversion des esprits, l’esclavage mental, le conditionnement de l’âme, l’imposture de la corruption et la supercherie. Cette sorte de contingence utilise les moyens médiatiques pour nous présenter nos propres cultures comme des épouvantails. Les valets de cette gangrène sont les fonctionnaires opportunistes, les cadres pseudo intellectuels corrompus et la petite bourgeoisie paumée ; tous ceux qui demeurent insensibles à nos vraies valeurs et qui ignorent les enjeux de notre civilisation.
Il y a de très grands apports contemporains dans l’art, la culture et les technologies qui ne sont pas identifiés et diffusés pour avoir été incompris, mal perçus voire occultés. Les vrais créateurs de l’actualité passent inaperçus, taxés de naïfs, primitifs, sauvages ; ou bien hypothéqués de traditionalistes, de passéistes, de folkloriques et d’artisanat. Leurs œuvres restent ignorées, inconnues du grand public, et perdues pour la société qui les a engendré.
On observe beaucoup d’équivoques et de machinations dans les décisions et les orientations que nos pays prennent en matière d’art, de culture, de sciences et de technologies. Nos institutions d’Etat et leurs résolutions sont induites à des erreurs qui tendent à marginaliser les créateurs, à corrompre les valeurs et installer le désespoir culturel des populations. Aujourd’hui encore les bonnes façons de résoudre les questions de la modernisation et le transfert des technologies ne sont pas établies avec les arguments qu’il faut.
Ce sont surtout les jeunes sortants des écoles d’art qui répandent les approches, les démarches et les pratiques des tendances artistiques empruntées à l’étranger. Ces façons de faire étranges, nées des contextes socio-économiques et politico historiques qui ne sont pas les nôtres, ne sont pas acceptées par les populations qui n’arrivent pas à s’y identifier. Le copiste est celui-là qui interprète sans avoir l’expérience de ce qu’il fait. Exercer des pratiques que l’on n’a pas vécues est le mimétisme. Pratiquer un exercice sans pouvoir le soutenir ni l’argumenter est le copiste. Le dilettante est celui qui n’a pas trouvé sa voie et qui divague dans des errements incertains, souvent incompatibles et d’une sincérité douteuse. Passer interminablement d’un courant à un autre est le dilettantisme, qui fait produire des œuvres sans âme ni conviction.
Tout cela dénote chez ces artistes le manque de sincérité, de clairvoyance, de certitude ; et aussi le manque d’idéal à atteindre, voire le manque de passion réelle à l’acte. Le résultat de leurs errements est indicateur de leur degré d’égarement. Leur manque de passion et d’initiative créatrice, ajouté à leur manque d’instruction et d’ouverture d’esprit, empêche d’appréhender les vrais enjeux de leur époque et de s’en sortir. On a remarqué avec ambiguïté les Kouyaté, Kanté, Diabaté, Kamara et autres castes dans les fréquentations des écoles d’art. Il fut un temps aussi les élèves recalés de l’enseignement fondamental et autres cas désespérés étaient prompts à être orientés sur les arts. Les sortants de ces écoles sont en réalité des enseignants, des instituteurs des métiers d’art se prennent aussitôt pour des artistes même non oeuvrant dans l’office. En plus ils considèrent les autres officiants en la matière comme des artisans ou bien des autodidactes. Pourtant, l’art africain n’est pas ce qui est enseigné dans nos écoles.
II- L’art de la corruption :
Les cadres opportunistes, tantôt fonctionnaires, tantôt artistes, prennent d’assaut les services administratifs des arts et de la culture afin de s’accaparer des bourses d’études, des invitations à l’étranger, des mises en résidences de travail… à l’adresse du pays. On remarque facilement de tels artistes par leur C.- V. qu’ils veillent à truffer des expos de ces pays, comme indicateur de leur excellence en art. En général, l’art présenté à l’étranger au nom de l’Afrique contemporaine n’en est rien. Les vrais indicateurs des performances résident dans l’œuvre d’art. On comprend mieux ensuite que ceux qui s’affichent comme les figures de proue sont en réalité ceux qui sapent et corrompent plus. Ils bloquent à leurs niveaux les informations sur les manifestations afin d’en disposer pour leurs profits égoïstes : c’est la prise en otage de l’art.
Très souvent, l’artiste doit choisir entre : soit être mis à la touche et demeurer inconnu, soit faire la courbette pour être recenser dans l’inventaire des artistes du pays, et soit graisser la patte afin d’être présenté dans une émission télévisée ou une diffusion radiophonique.
Les manifestations actuelles sont financées et dirigées par les institutions des anciennes métropoles qui en sont quasiment le jury. Les œuvres primées répondent en général aux labels du marché mondial ; mais il n’y a pas si longtemps, l’art international n’était que ce que l’art européen pris pour universel. Et c’est l’art de l’élite sortant des écoles, c’est-à-dire la forme institutionnalisée de l’art toubab, qui est prompte à s’adonner à une telle déviation. C’est comme si l’on poussait la jeune génération à perdre son âme et à trahir les valeurs profondes héritées. Le nouvel élan de l’art contemporain africain est entravé par une multitude de déficiences et de contradictions qui font que les productions deviennent méconnaissables ; les meilleurs artistes ne sont plus les lauréats élus à cause de l’attribution pipée des prix et trophées. A la longue De telles émulations corrompues conduisent les artistes à la dérive.
Un autre défaut est de ne pas travailler ensemble. La crainte permanente d’être trahi mine les rapports entre les artistes. Ils ne se fréquentent même pas car ils sont méfiants voire hostiles les uns envers les autres ; ainsi il y a peu d’échanges et moins de démarches collectives. En plus chacun veut avoir son propre style, sa propre signature personnelle. La corporation et la fédération sont des tentatives de récupération et de mise sous la tutelle des idéologies gouvernantes afin de manipuler les manifestations artistiques et culturelles. Dans des conditions de libre arbitre, les collectivités et les groupes d’artistes se forment par affinités dans des sensibilités ressenties et vécues sous forme de tendances, de courants d’art ou d’écoles. Cela est un facteur enrichissant que toute action promotrice doit respecter et soutenir. Beaucoup d’artistes se sont investis dans la recherche du discours identitaire propre ; mais l’équivoque chez eux a été la confusion d’une part entre l’originalité de l’artiste et les moyens techniques d’expression ; et d’autre part entre l’entité fonctionnelle de l’œuvre et son contenu, son message, sa signification. Beaucoup tenaient à mettre un message politique ou idéologique dans l’œuvre.
Et puis, on a vu certains s’évertuer sur le bôkôlan et les calligraphies d’anciens alphabets du bamanankan, et d’autres s’acharner sur les matiérismes du sabléisme et divers ; et encore des idéographes ou idéogrammes, voire des hiéroglyphes ont été pratiqués. Cependant, le seul moyen formel d’expression ne saurait être la consistance de l’œuvre. Mais aussi l’œuvre tend vers la linguistique quand son symbolisme devient hermétique ou codifié en symboles ésotériques que seuls ceux qui sont initiés aux signes de ce langage secret comprennent.
A force de errer et de tourner en rond sans trouver leur voie, beaucoup d’artistes rejettent l’investigation identitaire et la dénomination de ‘’artiste africain ‘’ et se proclament artistes du monde mais d’origine africaine : pour éviter d’être enfermé dans des ghettos, disent-ils. Tel est le refuge pour esquiver l’incapacité de soutenir les approches et les démarches prises ailleurs. Cela explique la profusion dans les productions actuelles des tendances nihilistes et dadaïstes des formes décadentes, morbides et dégénérées de l’art occidental. Il y a des artistes qui se comportent en exaltés mystiques et schizophrènes, expressément afin que les gens les traitent de fous conformément à leurs imbroglios et terribilità de dérèglement des sens.
Les commandes sournoises et douteuses de l’Etat ne sont jamais déclarées, et c’est toujours la chasse gardée d’un petit groupe d’artistes de la capitale. Ces commandes ne répondent pas à un choix éclairé, et ne conduisent pas à une véritable sélection. La collection résultante n’a forcément pas la représentativité, ni la qualité.
Les rares commandes de l’élite intellectuelle et les fonctionnaires ne portent que sur les genres d’emprunts de l’ancienne métropole : paysage, portrait, nature morte. Cela indique chez eux le déficit d’identité consciente voire le manque de véritable culture artistique. Il n’est pas rare de voir de telles personnes accrocher les tapis d’imitation d’orient aux murs de leur salon ; et entasser des récipients ménagers dans leur bibliothèque en guise de décoration ; et encore leur table basse du salon fait office de table à manger.
Il y a très peu de collectionneurs, qui sont surtout les expatriés séjournant dans le pays. Dans ce cas il s’agit d’acheter l’artiste et de le soumettre à produire en le pliant à leur goût, leur vision. Beaucoup d’artistes se complaisent dans cet état de conditionnement et d’exploitation.
Les marchands d’art et les collectionneurs internationaux ne sont pas attirés par ces œuvres qui sont des amalgames de mimétismes des types d’art importés d’Europe et d’Amérique.
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Dans cette situation troublée et perturbée c’est l’humanité des peuples qui en résulte sapée sous la forme d’un génocide culturel. Cela pose la nécessité de résister à l’envahissement de ces façons d’être qui sont incompatibles avec nos valeurs et nos idéaux. Il s’agit alors d’éviter les déviances aliénantes et de chercher plutôt à identifier les façons de faire, d’agir et d’être qui contribuent à notre récupération de la mémoire, et qui permettent l’épanouissement de notre humanité.
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